Suspense aux Émirats : Pourquoi la langue locale devient-elle un privilège réservé aux citoyens ?

Suspense aux Émirats : Pourquoi la langue locale devient-elle un privilège réservé aux citoyens ?

Dans un mouvement inédit qui suscite de vifs débats dans le monde arabe, les autorités des Émirats arabes unis ont récemment décidé de réserver l’usage de la langue émiratie, dans sa version dialectale, aux seuls citoyens du pays dans les médias. Cette décision, qui touche à la fois l’identité nationale, la diversité linguistique et la liberté d’expression, vient bouleverser le paysage médiatique d’un État déjà réputé pour son multiculturalisme et son ouverture économique.

Un contexte linguistique unique et pluriel

Les Émirats arabes unis se distinguent par une mosaïque linguistique remarquable. Si l’arabe classique est la langue officielle du pays, l’anglais y est omniprésent, notamment dans les affaires, l’éducation et la vie quotidienne. La population, majoritairement expatriée, parle une multitude de langues, allant de l’hindi au tagalog, en passant par le persan et le malayalam. Pourtant, au sein de cette diversité, l’arabe du Golfe, et plus précisément la variante émiratie, occupe une place symbolique forte, en tant que vecteur de l’identité nationale et de la culture locale.

Pourquoi cette mesure maintenant ?

La décision d’interdire aux non-citoyens l’usage de la langue émiratie dans les médias s’inscrit dans une politique plus large de préservation de l’identité nationale. Depuis l’indépendance, les Émirats ont mis en place des politiques d’arabisation visant à renforcer l’usage de l’arabe, et particulièrement de ses variantes locales, dans la sphère publique et institutionnelle. Cette mesure vise à protéger la spécificité de la culture émiratie face à l’influence croissante des langues étrangères et des dialectes arabes venus d’ailleurs, conséquence directe de la forte présence d’expatriés et de travailleurs immigrés.

Des médias sous surveillance

Concrètement, cette nouvelle réglementation impose aux chaînes de télévision, stations de radio et plateformes numériques de s’assurer que seuls les citoyens émiratis s’expriment en dialecte local à l’antenne. Les présentateurs, journalistes ou invités non nationaux devront désormais recourir à l’arabe classique ou à une autre langue admise, comme l’anglais, pour s’adresser au public. Cette restriction ne s’applique pas à l’arabe standard, qui reste accessible à tous, mais cible spécifiquement la langue du quotidien, celle qui véhicule les valeurs, les traditions et les subtilités de la société émiratie.

Réactions et interrogations

La mesure a immédiatement suscité des réactions contrastées. Pour ses partisans, il s’agit d’un acte de souveraineté culturelle, permettant de préserver un patrimoine linguistique menacé par la globalisation et l’homogénéisation des médias. Ils estiment que la langue émiratie doit rester un marqueur d’appartenance, un lien intime entre les citoyens et leur histoire.

À l’inverse, certains observateurs y voient une forme d’exclusion, voire de discrimination, à l’encontre des nombreux résidents non nationaux qui participent activement à la vie du pays. Ils soulignent que cette décision pourrait accentuer le fossé entre citoyens et expatriés, en marginalisant davantage ces derniers dans l’espace public et médiatique.

Quels enjeux pour l’avenir ?

Au-delà de la question linguistique, cette mesure soulève des enjeux plus larges liés à l’intégration, à la cohésion sociale et à la gestion de la diversité. Les Émirats, qui se veulent une vitrine de modernité et de tolérance dans la région, devront trouver un équilibre entre la protection de leur identité et l’ouverture qui a fait leur succès.

La question de la langue, loin d’être anecdotique, touche au cœur du projet national émirati. En réservant la parole en dialecte local à ses seuls citoyens, le pays envoie un signal fort sur la place qu’il entend accorder à ses traditions dans un monde en mutation rapide. Reste à savoir comment cette décision sera appliquée sur le terrain, et si elle inspirera d’autres États de la région confrontés aux mêmes défis identitaires.

Le débat est ouvert, et il promet de faire couler encore beaucoup d’encre dans les rédactions et les salons des Émirats… et bien au-delà.

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