Alors que la Tunisie célèbre des décennies d’ouverture économique, Samir Majoul, président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), appelle à un examen critique des partenariats internationaux. « Il est temps de revoir les accords commerciaux déséquilibrés », affirme-t-il, soulignant l’urgence d’adapter les engagements passés aux réalités économiques actuelles.
Un constat sans appel : des déséquilibres persistants
Depuis les années 1970, la Tunisie a opté pour une intégration progressive dans l’économie mondiale, multipliant les accords de libre-échange avec l’Union européenne, les pays arabes et l’Afrique subsaharienne. Mais derrière les chiffres encourageants des exportations se cache une réalité moins reluisante : des secteurs entiers peinent à rivaliser face à la concurrence étrangère, tandis que certains partenariats désavantageux grèvent la balance commerciale.
« L’ouverture économique n’est pas une fin en soi, mais un moyen au service du développement national », insiste Majoul. Selon lui, plusieurs accords signés sous la pression des circonstances géopolitiques ou économiques mériteraient d’être renégociés pour mieux protéger les entreprises locales, notamment les PME qui représentent 90 % du tissu productif tunisien.
Protéger le tissu industriel : une priorité absolue
L’appel du patronat tunisien intervient dans un contexte marqué par des défis structurels : taux de chômage élevé (1, % fin 2024), informalité rampante et contrebande qui siphonne près de 5 milliards de dinars annuels selon les estimations sectorielles. Majoul plaide pour une approche offensive combinant réforme interne et renégociation ciblée.
Parmi les dossiers sensibles figurent les subventions agricoles européennes qui faussent la concurrence dans l’agroalimentaire, secteur-clé pour l’emploi et la sécurité alimentaire. « Nous devons réclamer des clauses de sauvegarde plus contraignantes et des périodes de transition adaptées à nos capacités réelles », explique-t-il, en référence aux normes sanitaires et environnementales souvent coûteuses pour les producteurs locaux.
Stratégie de défense commerciale : l’urgence d’un plan d’action
Lors d’un récent atelier sur les instruments de défense commerciale, l’UTICA a dévoilé sa feuille de route : renforcement des mesures antidumping, meilleur encadrement des investissements étrangers et modernisation des outils douaniers. « La mondialisation ne doit pas être un prétexte pour sacrifier nos intérêts stratégiques », martèle Majoul, rappelant que plusieurs filières comme le textile, la mécanique ou l’électronique subissent une concurrence déloyale.
Le patronat tunisien mise également sur l’intelligence économique pour anticiper les litiges commerciaux. Une cellule de veille sectorielle vient d’être créée pour analyser les pratiques des concurrents internationaux et former les entreprises aux normes techniques. « L’idée est de passer d’une logique défensive à une approche proactive », précise un expert de l’UTICA.
Vers un nouveau modèle de coopération internationale ?
La position de Majoul s’inscrit dans un débat plus large sur l’avenir du modèle économique tunisien. Alors que le pays négocie son adhésion à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), certains experts préconisent une approche différenciée : libéralisation accrue avec l’Afrique, mais protectionnisme intelligent vis-à-vis des puissances économiques dominantes.
« L’enjeu est de trouver le juste équilibre entre ouverture et souveraineté productive », analyse un économiste spécialisé dans les chaînes de valeur régionales. Pour lui, la Tunisie pourrait s’inspirer du modèle marocain qui combine zones franches sectorielles et partenariats technologiques ciblés.
L’agroalimentaire en première ligne
Avec son expérience à la tête de la Fédération nationale de l’agroalimentaire, Majoul connaît bien les spécificités de ce secteur stratégique qui représente 10 % du PIB et emploie plus de 200 000 personnes. Il milite pour une alliance renforcée entre industriels et agriculteurs, notamment via des contrats de production garantissant des débouchés stables aux petits exploitants.
« La révision des accords commerciaux doit s’accompagner d’une montée en gamme de notre offre », insiste-t-il, citant l’exemple des dattes Deglet Nour ou de l’huile d’olive qui pourraient bénéficier d’une indication géographique protégée (IGP) à l’international.
Un appel à la mobilisation générale
Le discours de Samir Majoul dépasse le simple cadre technique des négociations commerciales. Il y voit une condition sine qua non pour réduire le déficit commercial chronique (20 % du PIB en 2024) et créer les emplois qualifiés que réclame la jeunesse tunisienne.
« Cette révision n’est pas une option, mais une nécessité historique », conclut-il, appelant à une large coalition regroupant patronat, syndicats et gouvernement. Un défi de taille alors que la Tunisie navigue entre urgences sociales et contraintes financières internationales.
La balle est désormais dans le camp des décideurs politiques qui devront trancher un dilemme cornélien : préserver les acquis d’une diplomatie économique active ou repenser en profondeur les fondamentaux du modèle tunisien d’insertion internationale.